par Monique Biezunski Michel, Nicole Malamet Michel et Éliane Roos Schuhl
Je suis actuellement l'aînée de vos deux familles.
Je me sens le devoir de transmettre la vie familiale qui a bouleversé notre train-train de famille petite bourgeoise lilloise et rouennaise et qui,pour vous est liée à l'HISTOIRE. J'ai évidemment gardé des souvenirs de petite fille de 11 ans à l'automne En voici quelques uns pour comprendre notre arrivée à Caussade, puis dans le Lot. Cette période a marqué la vie commune entre les deux sœurs Denyse et Colette Lévy et leur famille.
Annoncée par la T.S.F. ( la télévision n'existait pas). J'ai eu très peur, j'en ai rêvé cette nuit là de scènes terribles.
Nos parents Denyse et Robert Michel décident de quitter notre appartement de Lille qu'ils louaient depuis leur mariage en 1928 : 2 rue du Priez à Lille, pour loger dans la maison louée à Coutiches, village du Nord situé à une vingtaine de kilomètres de Douai, mais surtout très proche de Flines-les-Raches où se trouvait l'usine de confection des Etablissements Gaston Michel et fils (Robert et André). On appelait cette maison : « le château de Pintignies » . Il faut dire que c'était une très grande maison : Au rez-de-chaussée : une grande cuisine, 3 salles à manger : une pour le petit-déjeuner du matin, la deuxième pour les repas familiaux, la troisième ainsi qu'un salon étaient réservés au propriétaire. Au premier : 3 très grandes chambres où dormaient : nos grands-parents, nos parents, notre tante Guite avec Jean et Francine, + 2 petites chambres pour le trio MoniNicolYves, et une très belle salle de bains.
Au second, un immense grenier qui a servi de dortoir à des soldats anglais durant la guerre, les officiers logeaient dans le salon et la salle à manger initialement réservés au propriétaire. La maison était entourée d'un très beau jardin, terminé par un grand potager où poussaient des pommes de terre, des asperges, des artichauds, des poireaux, des carottes, des oignons, du persil, du cerfeuil, de l'estragon, nous cueillions des haricots, des petits pois, des fraises, des framboises, des groseilles, du cassis.
Tous les soirs, nous allions assister à la traite des vaches, dans la ferme voisine. Quelquefois, nous avions l'autorisation d'aller découvrir les œufs fraîchement pondus par les poules qui se promenaient en liberté dans la cour.
La voiture était bien chargée, y compris le toit, je crois me rappeler que nous avions même emmené un matelas.
Cohue de voitures, sur le bord de la route, nous avons aperçu au bord de la route, Jean MORTIER (le grand-père de Brigitte Schuhl) qui pleurait, il n'avait aucune nouvelle de sa famille, Paulette BLUM sans nouvelles de son mari Simon, qui était mobilisé à Dunkerque. Une voiture nous croise en sens inverse, une seule roulait dans ce sens, celle des Lucien Hirsch de Rouen. Ils nous disent :
"Allez au Mesle sur Sarthe, à l'auberge du Chat Noir, on ne trouve plus une chambre plus un lit, mais ils se débrouilleront si vous venez de notre part".
En effet, ils nous ont trouvé une chambre dans une maison normande au 2éme étage. Le lendemain, Yves et Gilbert sont tombés malades, la varicelle. Les propriétaires nous ont demandé de partir...
Direction Rennes, où nous avons retrouvé Papa près de la gare, nous avons dormi sur la paille dans un immense hangar, avec toute la famille MORTIER qui s'était également retrouvée.
Rien n'avait été prévu pour les Lillois arrivés en nombre. Le lendemain Papa a reçu un télégramme de M. VANESTE son directeur de fabrication : il avait trouvé un local pour remonter un atelier et une maison neuve vide à CAUSSADE dans le Tarn et Garonne.
Nous ne savons pas comment il fut possible de retrouver toute la famille et comment les contacts ont été rétablis avec les amis. Albert, Lucie, Marguerite, Paul Schuhl et leurs 3 enfants : Lucien, Roger, et Claude sont venus nous rejoindre.
Nos deux oncles André Michel et Schuhl ont été démobilisés. Tous les deux étaient officiers, l'un d'artillerie (Badé), l'autre chimiste à la poudrière d'Angoulême. Paul Weiller (beau-frère d'André Michel) a été fait prisonnier à Lubeck (camp pour officiers Juif s français).
Papa a remonté son usine sur le Cours Didier Rey de Caussade dans un ancien atelier de chapeaux de paille au-dessus du magasin de vélos de M.DUCLOS. Il a continué à fabriquer des pantalons.
À partir de cette date, juin 1940, nos deux familles de Denyse et Colette, ne se sont plus quittées, jusqu'à l'hiver 1944. Chaque jeudi et dimanche, nous faisions de grandes promenades à pied, jusque 20 km dans la journée. André Schuhl était un grand marcheur et entrainait toute la famille.
Papa est mort le 14 décembre 1940 après une maladie de deux mois, en partie épuisé par le travail et les soucis et par un mauvais fonctionnement des reins..
Notre maison de Caussade :
Nous habitions dans une impasse, quartier du "Truc" à la sortie du village sur la route de Paris à Montauban. Une petite maison :
3 chambres à coucher : Papa Maman Yves- Tante Colette Oncle André Eliane Gilbert-Monique et Nicole- et une cuisine avec un poêle à bois. Le jardin entourait la maison, sur le côté un clapier avec des lapins que nous nourrissions d'épluchures. Au bout du jardin passait la voie ferrée, les trains Paris Toulouse.
Nous avions quelques rangées de plants de pommes de terre pour nous nourrir. Il fallait ramasser les doryphores. Pour cela, nous avions des vieilles boîtes de conserve avec un trou dans le couvercle. Quand la boîte était pleine de ces bestioles, on les brûlait dans le feu de bois.
Au milieu de ce petit jardin : une pompe à main métallique qui devait servir à pomper l'eau.
Un jour, probablement en 1941, nous nous trouvions dans la cuisine, il faisait très beau, chaud.
Brutalement, un énorme coup de tonnerre nous a secoué, suivi d'un éclair qui a fait le tour de la cuisine, j'ai eu peur, la pluie est arrivée après.
J'ai surtout été surprise d'avoir entendu le coup de tonnerre , avant d'avoir vu l'éclair, probablement, à une très petite fraction de seconde d'intervalle.
La foudre avait dû être attirée par la pompe du jardin.
Pour rentrer à la maison, nous prenions un chemin de terre et passions devant une vieille ferme où habitait une très vieille fermière que l'on voyait souvent au milieu du chemin, habillée d'une longue robe noire. Tout d'un coup, elle s'arrêtait, écartait les jambes et faisait pipi ! Nous trouvions cela très surprenant et elle me faisait un peu peur.
A l'école, je me souviens du salut au drapeau le matin en arrivant. Nous chantions l'hymne du moment : "Maréchal Nous voilà, devant toi, le sauveur de la France. Nous jurons, nous tes gars, de servir et de suivre tes pas. Dans ton appel suprême, j'ai répondu présent, nous tes enfants qui t'aiment et vénèrent ta voix.... "Pour l'examen d'entrée en 6ème, le DEPP, le sujet de la rédaction était : " Le matin, le salut au drapeau, racontez et dites vos impressions". .....
J'ai été obligée d'inventer, j'ai eu beaucoup de mal, mais j'ai été reçue (je voudrais bien retrouver ma composition aujourd'hui !).
Chaque matin on nous donnait pendant l'heure de la récréation, un morceau de pain avec quelques gouttes d'un liquide huileux jaune, de l'huile de foie de morue, qui avait un goût épouvantable. Quand nous le pouvions, nous allions cracher dans les toilettes (baraquement au milieu de la cour).
Notre vie s'écoulait assez tranquillement pendant quelque temps. Pour Noël 1941, nous avons reçu un énorme carton venu de Flines les Raches : l'« administrateur provisoire » nous envoyait des cadeaux pour Noël 1941. Je reçus une grande poupée habillée d'une robe bleue, avec des cheveux brillants bruns et qui marchait quand on la faisait avancer, ses jambes étant articulées. Monique a reçu une grande quantité de livres de la bibliothèque verte (à l'époque les livres étaient reliés avec une couverture verte, et le titre figurait en lettres dorées. Je ne me souviens plus de ce que Yves avait reçu.
Aujourd'hui, je viens de parler de BIZAC tout à fait par hasard à propos de la récupération d'une boîte de foie gras. Tout d'un coup, je me suis rappelé que je possédais une histoire des événements survenus en 1944 à Souillac. Bonne occasion d'aller y jeter un oeil.
Je ne me rappelais plus sa provenance, mais sur la première page, j'y ai trouvé avec émotion l'écriture de Colette Schuhl " A me renvoyer ". Eliane m'a rappelé qu'elle me l'avait offert au moment du déménagement de la rue Jeanne d'Arc.
J'étais l'une des témoins de cette période.
Je me sens maintenant obligée d'y ajouter mes souvenirs pour personnaliser le récit (il serait plus conforme de dire "familiariser" puisque cette histoire a été vécue par toute la famille, mais le mot n'a pas ce sens là).
Après avoir été expulsés comme Juifs de Caussade en Juin 1943, Colette Schuhl avait trouvé, et ce n'était pas facile à cette époque une maison à louer à La Brame à environ 1 km de Reyrevignes dans les environs de Souillac. (en parlant dans le train avec une dame. Il s'est avéré que le mari de cette dame avait été collaborateur, mais nous ne l'avons su que beaucoup plus tard !) , je crois me rappeler qu'elle était divorcée et était contente de recevoir un loyer.
Il s'agissait d'une maison complètement isolée située au bout d'un chemin caillouteux en impasse, mais à quelques centaines de mètres de la voie ferrée Paris-Toulouse.
Une cuisine qui faisait office de salle de séjour, avec une cuisinière brûlant du bois, une grande pièce qui servait de chambre à coucher à Albert et Lucie Schuhl, deux autres chambres , l'une pour la famille André Schuhl, l'autre pour Denyse et Yves Michel, Nicole et moi occupions une petite chambre dans le grenier où les souris nous tenaient compagnie tous les soirs.
J'avais très peur des souris. Chaque soir, pour aller me coucher, il fallait monter quelques marches traverser un grenier tout noir, pour arriver dans la chambre à coucher, . Je tapais des pieds pour faire peur aux souris. Dans la chambre, je me blotissais tout contre ma sœur quand on entendait les souris se disputer au-dessus du plafond, ou quand il y avait un orage, ce qui arrivait très souvent dans cette région.
Dans cette description un peu triviale, je rappellerai ce qui m'a beaucoup marqué : les W.C. qui se trouvaient dans la cour devant la maison constitués par une cahute et d'une planche percée qui donnait directement dans le champ situé en contre-bas. Autre élément de CONFORT!!! : nous n'avions NI EAU COURANTE, NI ÉLECTRICITÉ.
Evidemment, à cette époque, les réfrigérateurs étaient inconnus des particuliers, pas non plus de cuisinières électriques, ni de machines à laver, nous n'avions aucune idée de la télévision.
Par contre , nous avions un poste de radio qui ne pouvait fonctionner, et la lumière devait être produite par une autre source d'énergie;
Nous avions une (ou des) lampe(s) à pétrole, mais le pétrole était rationné, ou introuvable.
Pas de bougie, la famille avait pu se procurer des ersatz ( mot très employé durant cette époque, qui signifie remplacement généralement de moindre qualité ) de bougie : il s'agissait d'une mèche raide qui donnait une fumée noire qui envahissait la pièce et se collait à la peau, il était difficile de l'ôter complètement de la figure, on apparaissait comme maquillé, mais ce n'était pas la mode de se colorer les paupières!
Par contre, comme l'auto des Schuhl était dans un garage, il n'y avait pas d'essence, nous avions récupéré les accus que Colette transportait sur une remorque derrière son vélo à 5 km de la maison, pour les faire recharger, chez le métayer qui s'occupait des tournesols et recevait le courant électrique.
Ce n'était guère pratique, les accus étaient très lourds, le pays accidenté.
Nous avions installé un circuit électrique avec de petites ampoules qui éclairaient faiblement.
J'allais oublier de parler des lampes à acétylène qui avaient tout pour plaire, je crois que l'on pouvait se procurer de l'acétylène et nous étions alors très bien éclairés. Malheureusement, j'avais appris en classe que l'acétylène pouvait exploser, et le réglage de ces lampes était délicat, la flamme grésillait ou variait; et je garde le souvenir de mes frayeurs.
Mais ô miracle! le TÉLÉPHONE fonctionnait normalement, et il nous fut utile pour être informés des rafles possibles.
En dehors du champ de tournesols devant la maison, nous étions complètement entourés de bois de châtaigniers, et de genévriers, peu élevés qui faisaient notre bonheur, pour les promenades à pied ou les jeux.
En parlant de jeux, à quoi passions-nous notre temps de loisir ? Nous allions sur la colline, Monique et moi, en face de la maison, de l'autre côté du champ de tournesols. Avec des vieilles boîtes de conserve, nous faisions des circuits "d'eau courante".
Nous emmenions souvent « les petits » : Eliane, Gilbert et Yves, pour préparer des spectacles pour la famille : visite de nos « appartements avec eau courante », ou mime de chants scouts : « le petit cordonnier », « le facteur », « la chèvre », « ma fille, veux-tu te marier ?».....
Habitions-nous réellement à La Brame ?
Cette "résidence" était notre lieu déclaré ; en dehors de notre maison officielle, la famille avait loué clandestinement une maison abandonnée à "Pêche-Marty", située à moins d'un kilomètre de La Brame tout en haut de la colline d'en face, complètement cachée, comme refuge en cas de rafle annoncée. Nous y avions entreposé des boîtes de conserves, des couvertures, et caché de l'argent.
La famille Michel avait un pied à terre non déclaré à Souillac, où nous allions du lundi au mercredi et du vendredi au samedi pour que Nicole et moi puissions fréquenter le "Cours Complémentaire" (on dirait maintenant le Collège).
Situé en plein centre de la bourgade :
au premier étage une petite entrée qui nous servait de cuisine et salle de séjour avec l'eau courante, quel luxe !, mais la bonde de l'évier déversait les eaux usées directement dans la rue, pas de téléphone évidemment, mais ici, l'électricité me permettait de faire les devoirs et étudier les leçons, le soir pendant que le reste de la famille dormait dans la chambre commune voisine et que les souris venaient me rendre visite et danser autour de moi. (je ne voyais pas les souris ni ne les entendais, mais je retrouvais, chaque matin, mes slips grignotés par ces bestioles...)
Au rez-de chaussée une "tinette". Il s'agissait d'un tonneau sur lequel étaient posées deux planches l'une percée, l'autre pleine pour éviter les odeurs, je vous laisse en deviner l'usage! ! dans une grande pièce toute noire, sans fenêtre dont le sol était à même la terre, très humide.
Le Maire de Caussade avait exigé de connaître le lieu de notre nouveau domicile, officiellement, pour faire suivre notre dossier d'obtention de cartes d'alimentation à Souillac, absolument indispensable pour l'achat des denrées rationnées telles que : le pain, l'huile, le sucre, la viande, les chaussures, les vêtements.... (Nous avons appris des années après, qu'il avait ainsi pu mettre à jour, son fichier des Juifs dans sa commune).
Chaque individu de plus de 16 ans, devait posséder une carte d'identité qui pouvait lui être demandée n'importe où et n'importe quand; les nôtres portaient un tampon "JUIF". Les cartes d'alimentation également.
Pour échapper aux rafles, nous avions, tout au moins les adultes, des fausses cartes d'identité et d'alimentation.
Les Schuhl s'appelaient "Soulié", les Michel avaient gardé leur nom, mais Denyse née Lévy était devenue Léry.
C'est Roger Schuhl, un de nos cousins, qui était dans la Résistance à Lyon, qui nous avait procuré ces cartes, probablement avec l'aide d'un autre cousin Jean Hirtz.
Lors de nos grandes promenades des jeudis et dimanches, nous discutions ensemble, le judaïsme était un sujet important : explication des fêtes, discussions à propos des lois et de la morale. Il m'avait fait réciter tous les soirs de l'année de deuil de notre père en 1940-41, le Kaddish Et m'a appris à lire l'hébreu.
Concernant la partie scolaire, il m'a fait réciter les leçons, et c'était très important pour moi. Les méthodes pédagogiques de l'époque étaient surtout basées sur le "par cœur", particulièrement les dates en histoire, la chimie qui me plaisait beaucoup et les détails de géographie de la France en 3eme, dont je me souviens encore.
Il me donnait des exercices de math à titre de distraction.
Le 6 Juin 1944 tel que je l'ai vécu: Journée radieuse très ensoleillée, j'avais appris le débarquement en Normandie par Yvonne ou Jean Schuhl, qui faisaient partie de la Résistance, dans le Lot.
Et j'apprenais aussi que j'avais obtenu le "Brevet Elémentaire" passé trois semaines auparavant,à Cahors, non sans émotion.
J'avais refusé de coucher à l'hôtel par crainte d'une rafle et j'avais pour la première fois "avoué" à une enseignante que j'étais juive. " Je pense qu'elle le savait, mais nous n'en parlions pas. Elle m'a trouvée une chambre chez l'habitant, malgré cela, je n'ai pu fermer l'oeil à cause d'un panaris sur le pouce gauche, survenu brutalement.
En me promenant le matin du Mardi 6 Juin 1944, à Souillac, je rencontrais mes camarades de classe, la mine réjouie, bien sûr, nous étions tous reçus au Brevet, mais les sourires voulaient en dire plus. Personne, toutefois, n'a prononcé le mot de "débarquement". Peut-être mes camarades n'en avaient-ils pas entendu parler, je crois plutôt qu'il y avait de la peur, la crainte d'une dénonciation, personne n'était sûr de personne.
Maman décide d'attendre la sortie de classe d'Yves et Nicole (je me souviens, dit Nicole, qu'elle est venue nous chercher en plein milieu des cours) pour reprendre le chemin du retour à La Brame. Rester à Souillac devenait dangereux, et la classe était quasiment terminée.
Maman partira donc en avant à pied avec sa remorque à main et des provisions pour un moment. Nicole sur sa bicyclette, Yves sur mon porte-bagages, comme d'habitude, nous remonterons après 4 heures et demi, (Nicole: "je me souviens que je n'avais aucune endurance pour monter les côtes en vélo et que j'étais toujours obligée de descendre et continuer à pied. J'étais vexée de ne pas y arriver alors que Monique montait les côtes sans fatigue"), (Monique: c'est ce qu'elle croyait) avec Yves sur son porte-bagages).
Je me revois, pédalant avec peine sur mon vélo à vitesse unique (Monique avait un vélo perfectionné avec 3 vitesses, et Yves sur son porte bagage !), roulant sur un chemin sablonneux après avoir quitté la route départementale goudronnée. Pour nous donner du courage, nous chantions des chants interdits à l'époque tels "Les Allobroges", Auprès de ma blonde", "Vous n'aurez pas l'Alsace et la Lorraine"… ainsi que l'Hymne de l'Etat français "Maréchal, nous voilà" en verlan" ce qui donnait :
"Chérémal, nous lavoi, vande toi, le veursau de la cefran, nous ronju, nous tes gars, de virsé et de vresui tes pas…."
C'était là notre "Acte de Résistance" !
Cliquer ici pour entendre Nicole chanter cette chanson.Au moment, où nous débouchions sur la Nationale 20, Maman sort de la boulangerie, assez bouleversée, nous apercevons devant nous des hommes traversant la route en courant, nous entendons des coups de feu ( voir page 6 du récit de M. Rajat).
Maman nous dit qu'elle a brûlé, dans le four du boulanger, des papiers compromettants. Nous attendons un moment, puis prenons un chemin détourné pour rejoindre La Brame.
Maman s'est fait arrêter par un sentinelle allemande, qui après discussion l'a finalement laissé passer, elle avait eu bien peur. Nous avons vu ce soldat, mais nous ne l'intéressions pas.
"Du débarquement à la libération de Souillac"
II me semble que l'on nous avait dit que le Maire Monsieur Bizac avait offert des caisses de foie gras aux Allemands pour la libération des Souillaguais.
Le lendemain, coup de téléphone de Germaine Schuhl, depuis Souillac : "Attention, ça va mal ici" (voir récit page (1).
La maison où nous sommes allés nous réfugier depuis La Brame sur la colline d'en face s'appelait "Pêche-Marty".
Pour nous, les jeunes, ça mettait un peu d'animation dans nos vies d'enfants. Nous y sommes restés un peu plus de 24 heures, nous avions appris par téléphone que des hommes avaient été pris en otages, puis relâchés, le danger était momentanément écarté, nous pouvions redescendre à La Brame. La ferme "Pêche-Marty ne comportait qu'une grande pièce, nous étions 10 personnes à y dormir, 5 grandes personnes et 5 enfants :
Albert et Lucie Schuhl, leur fils : André et sa femme : Colette, leurs petits-enfants de l'époque : Eliane et Gilbert ainsi que Denyse Michel et nous trois : Monique, Nicole et Yves.
Lorsque Grand-Père Albert a dû se lever discrètement dans l'obscurité de la nuit, combien de jambes n'a-t-il pas piétiné dans la chambre unique où tous les membres de la famille dormaient sur des matelas par terre.
Une fois par semaine, le jeudi, nous allions à travers la forêt au ravitaillement à Chabournac, village où nous allions nous approvisionner. Les fermiers nous recevaient très gentiment ; ils nous vendaient, entre autres, de délicieux petits fromages de chèvre frais, présentés chacun sur une feuille de vigne. Ils nous faisaient goûter à leur alcool fait de baies de genièvre (du "gin" !), si fort et parfumé...
Gilbert, Eliane (et Yves parfois, seulement après le 6 juin 1944 ) allaient en classe dans la petite école de Reyrevignes, dont la directrice nous avait trouvé cette maison, il fallait monter un kilomètre à travers un bois de châtaigniers.
C'était beaucoup pour nos petites jambes, habillées de grosses chaussettes de laine car l'hiver était très froid.
Nous nous racontions des histoires et jouions des scènes... qui nous faisaient souvent arriver en retard à l'école. On cueillait des fleurs à donner à la maîtresse pour l'amadouer ! Des haltes sur le chemin avaient été nommées : "Lille", "Rouen" etc... Dans cette petite école, il n'y avait qu'une classe unique, qui réunissait une vingtaine d'enfants de tous niveaux et de tous âges, depuis les petits qui apprenaient à lire, à écrire et à compter, jusqu'aux "grandes" qui préparaient le certificat d'études.
Un gros poêle chauffait la petite salle, au fond de la classe où étaient assis les moins bons élèves ! Eux avaient chaud ! On n'apprenait pas que des matières littéraires ou scientifiques. Il y avait un jardinet, dont on apprenait à s'occuper, et un élevage de vers à soie sur feuilles de mûrier. On nous apprenait aussi à balayer.
Peu de temps après, deux gendarmes français sont montés à La Brame, inutile de dire que nous avons eu peur.
Les gendarmes :
"Vous êtes bien les familles Schuhl et Michel ?" Les adultes très gênés d'avouer leur identité, acquiescent.
Les gendarmes : "Vous êtes bien locataires de la maison de Chabournac ?"
A cette question, dénégation formelle de tous les adultes.
Les gendarmes : "Allez, vous pouvez nous le dire à nous."
Vous avez été cambriolés, et nous avons retrouvé le voleur qui a avoué. Il faut que vous veniez à Souillac à la gendarmerie reconnaître vos affaires."
Puis ils s'en vont.
Je me souviens des longues discussions entre adultes, pour savoir l'attitude à adopter :
Faut-il aller à la gendarmerie ? Est-ce vrai ? ou est-ce un piège ?
Ne vaut-il pas mieux abandonner nos affaires plutôt que de tomber dans la gueule du loup ?
Finalement, la décision fut prise, les deux soeurs, Denyse et Colette iront ensemble à Souillac et en profiteront pour faire des achats.
Elles sont revenues avec pull-overs, boîtes de conserves... On a souvent parlé de cette aventure. Mais, elle rejoint le récit de Monsieur Rajat, sur l'attitude des gendarmes de Souillac.
Les Maquisards faisaient sauter les rails de la voie pour empêcher les trains d'acheminer les soldats vers le front de Normandie où avaient débarqué les Américains, les Anglais, les Canadiens et des Français qui étaient passés en Angleterre avec De Gaulle.
Pour se protéger, les Allemands utilisaient des trains blindés, et ils posaient des rails devant le train au moment de son passage pour remplacer les voies détruites par les Maquisards.
Quand ils pouvaient, ils tiraient sur les paysans qui travaillaient dans les champs. L'un d'entre eux a été tué près de chez nous .
A "La Brame", un jour, on frappe à la porte : deux soldats, portant l'uniforme allemand et fusil sur l'épaule nous font face.
Frayeur !
Ils déposent leur arme sur le petit perron devant notre entrée avant de s'asseoir à notre table dans l'unique pièce "salon, salle à manger, cuisine". Ils nous demandent quelque chose à manger et à boire.
Qui sont-ils ? Ils nous racontent qu'ils sont polonais, enrôlés de force dans l'armée allemande. Ils viennent du "train blindé".
Ils tirent de leur poche des photos de leurs enfants et de leur famille dont ils n'ont pas de nouvelles…
Après un petit moment, ils se lèvent, nous remercient, sortent en emportant leur arme.
Nos Mère, Tante et Oncle ont pensé, après coup, qu'ils auraient peut-être bien souhaité rejoindre la Résistance...